CLÉMENCE GALLIARD & JULIETTE MÉDEVIELLE
DÉCEMBRE

CLÉMENCE GALLIARD & JULIETTE MÉDEVIELLE

DÉCEMBRE

MA galerie sonore est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans cette rubrique.

CLÉMENCE GALLIARD

Clémence Galliard est danseuse-interprète. Elle a collaboré avec de nombreux chorégraphes, tels que Loïc Touzé, Olivia Grandville, Philippe Decouflé, Ondine Cloez ou Ivana Muller. Elle est également assistante à la mise en scène et à la chorégraphie pour Tatiana Julien, Nosfell ou Léo Lerus. 

JULIETTE MÉDEVIELLE

D'abord chargée de production de la Compagnie DCA / Philippe Decouflé, elle passe en 2015 à la réalisation radio et de podcasts, et travaille notamment à France Inter, sur de nombreuses émissions culturelles et des séries documentaires (Le Nouveau Rendez-Vous, Interception, Face à l'Histoire...).

Depuis 2021, elles écrivent ensemble Danse sur écoute, une série radiophonique mettant à l'honneur le métier d'interprète dans le domaine de la danse contemporaine, dont un triptyque produit par Radio MA.

PRÉSENTATION DE LA SÉLECTION

« Restituer une expérience globale »

Clémence Galliard est danseuse et pédagogue. Elle s’intéresse notamment à l’audiodescription. Juliette Médevielle est réalisatrice. Ensemble, elles ont initié des projets radiophoniques et développent un travail particulier autour du spectacle et du son. 

Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Juliette Médevielle : J’ai travaillé cinq ans, d’abord en tant que stagiaire puis chargée de production, dans la compagnie Decouflé que j’ai ensuite quittée pour la radio mais avec laquelle j’ai toujours gardé le contact. C’est là que j’ai fait connaissance avec Clémence qui était déjà interprète pour ce chorégraphe. Elle y est restée une dizaine d’années. Par la suite, c’est elle qui m’a sollicitée en 2019, à l’occasion d’une grande rétrospective sur la compagnie Decouflé au Théâtre de Chaillot qui devait se tenir durant une dizaine de jours avec plein de spectacles, d’animations, de projections d’images d’archives. Cela s’intitulait Tout doit disparaitre. Elle souhaitait monter un plateau radio foisonnant, installé dans le foyer et qui vivrait plusieurs heures chaque soir, animé par les danseurs et comédiens de la compagnie. Au sein de cette émission, Clémence proposait elle-même une sorte de chronique, La radio-description d’un solo, qui est à l’origine de la série de podcasts Danse sur écoute que nous avons réalisée pour MA.

Qu’entendez-vous plus précisément par audio ou radio-description ?
Clémence Galliard : En tant que danseuse-interprète depuis vingt-cinq ans, côté description du mouvement, j’avais été très touchée par l’audiodescription de films de danse – notamment celle sur Waterproof, une pièce de Daniel Larrieu – effectuée par Valérie Castan, artiste chorégraphique qui s’est aussi beaucoup consacrée à cette activité. C’est en consultant le site Numéridanse que j’ai découvert l’audiodescription qui existe depuis longtemps. Souvent effectuée par des associations en direction des publics malvoyants, cette méthode est utilisée notamment dans les salles de spectacles. Je trouvais que c’était aussi un outil merveilleux pour mettre des mots sur la danse à la radio. Comme par ailleurs j’aime autant danser que parler sur scène et que, depuis l’enfance, j’ai toujours été fascinée par la radio, j’ai voulu conjuguer ces deux aspects dans la recherche entreprise avec Juliette. Mais pas seulement. Je voulais aussi apporter d’autres éléments : des informations sur la personne qui danse, sonoriser la danse et le danseur, livrer d’autres matériaux. C’est ce que nous tentons de faire à travers ces podcasts qui ont autant de formes différentes, selon les personnes que nous rencontrons, leur personnalité, le type de démarche et de travail qu’elles développent, etc…

Comment procédez-vous dans ce travail ?
J.M. : Il y a d’abord les rencontres faites par Clémence, ensuite nous essayons d’imaginer quelque chose avec le lieu qui nous accueille. Parmi les différents projets que nous avons réalisé en collaboration, la forme la plus « tentaculaire » est issue d’un travail de plusieurs mois au CND, effectué durant la résidence d’écriture d’Hélène Giannecchini, où Clémence donnait aussi des ateliers de danse, de regard et d’audiodescription. En termes radiophoniques, nous avons accompagné, suivi les différentes formes et étapes d’ateliers, leurs échanges et interrogé les participants. Ainsi nous avons pu tisser de manière chorale de multiples propos en mettant en avant la danse et l’expérience de chacun en atelier. Ce travail était un bon prétexte pour aborder plein d’éléments de travail et entre autres explorer les façons dont s’intègre le public. À la suite de cette première forme documentaire, nous avons souhaité développer et creuser dans ce sens. 
Avec MA, l’intérêt était de sonoriser les mouvements des danseurs, en utilisant à la fois la radio-description, le texte écrit, mais aussi les sons du corps et les mots du danseur au travail qui surgissaient dans l’instant. Autrement dit en mêlant l’écriture – les textes de Clémence étaient préparés à l’avance – et l’improvisation. Le danseur pouvait dire ce qu’il était en train de faire, convoquer son propre imaginaire, évoquer des souvenirs de la création. Cet aspect spontané nous rapproche du spectacle vivant même si nous sommes à la radio. Si l’on fait une autre prise, il ne se passera pas la même chose. Du coup, on est aussi dans une expérience pleine pour la personne qui écoute l’émission. On lui donne à voir ce qui se joue à travers la description mais on peut aussi provoquer des sensations dans ce qui se transmet par les sons ou les mots du corps. Ce qui est très intéressant à travailler en termes de réalisation car on n’est pas seulement dans le « donner à entendre » mais on s’essaie à « restituer une expérience globale » : à la fois visuelle, permise par la description de Clémence, et dans certains cas de celles d’un collectif ou « chœur » de spectateurs (les lycéens du Lycée de la Mare Carrée à Sénart, les étudiants des Beaux-Arts de Poitiers) ; sensible, parce-que bien sûr ces descriptions sont toujours subjectives et des « re-créations » en soi ; mais aussi presque physique, grâce à la parole du danseur, non-préparée et simultanée à l’exécution de la danse (comme on l’a expérimenté à Montbéliard, avec la complicité des trois interprètes). 
À cela s’ajoute la possibilité de saisir cette expérience comme porte d’entrée vers une dimension documentaire, que ce soit pour donner à entendre quelque chose de l’interprète (son parcours, sa façon d’aborder son art) et/ou de ceux qui le regardent (leur rapport à la danse, au mouvement, à leur propre corps dansant).
C.G. : En fait, je trouve que ce que tente Juliette à travers le montage travaille à l’utopie de se rapprocher le plus possible de la danse, de l’interprète. On entend les souffles, la voix. Il me semble intéressant de découvrir aussi par quoi le danseur est traversé. Un peu à la façon d’un zoom sur image. 
J.M. : Ce sont des subjectivités qui se croisent et cela ne prétend pas à l’exhaustivité. C’est ce que disent aussi les personnes qui pratiquent l’audiodescription. Juste essayer de transmettre quelque chose. C’est aussi ce que j’aime dans le documentaire. Prendre dans le réel et faire des choix : d’abord quand on enregistre, de l’endroit d’où l’on prend le son jusqu’au montage et la mise en onde. Tout se fait par le prisme de différentes sensibilités.

Dans le cadre de la Galerie sonore, vous avez effectué d’autres types de choix, en proposant aux auditeurs plusieurs émissions, pouvons-nous revenir sur cette sélection ? 
Pour commencer, qu’en est-il de la capsule What You See où quatre voix racontent la pièce Efeu de la compagnie ZOO et du chorégraphe Thomas Hauert qui s’est jouée du 23 au 26 mai 2023 au Pavillon de l’ADC, à Genève. 
C.G. : Il s’agit de la réalisatrice Charlotte Imbault qui fait tout un travail de création sonore et s’occupe aussi de la revue annuelle papier Watt, autour de la danse et de la performance. Elle n’est pas elle-même dans la description du mouvement dansé mais elle fait circuler la parole sur la danse, celle qui émerge devant quelque chose en train de se dérouler sous les yeux du public ou bien post-spectacle. Elle crée des cercles de paroles en interrogeant les spectateurs à la sortie des salles et réalise de petits montages, des capsules. Nous avons sélectionné l’une d’entre elles, réalisée en Suisse. Ce que j’aime, c’est la poésie qu’elle orchestre à travers le montage de ces paroles recueillies dans leur environnement.
J.M. : Ce qui me plait aussi, c’est que l’on puisse rendre compte de ce qui reste comme traces d’un spectacle que l’on vient de voir, immédiatement ou plusieurs jours après. Cela pose toute la question de l’interprétation et de la subjectivité. De comment on reçoit une image qui n’est pas explicitée. 
C.G. : De son côté Juliette a proposé « Chacun son “Umwelt”. Peut-on donner à (perce)voir la danse ? », une émission autour d’une pièce de Maguy Marin, que je trouvais aussi très pertinente. C’est une plongée dans le spectacle, avec de l’audiodescription mais pas seulement. Cela réunit nombre de corps de métiers et aussi la parole des audiodescripteurs et des publics mal-voyants. L’occasion d’aborder un spectacle par différentes sources. 
J.M. : Nous avons aussi retenu le documentaire de Mehdi Ahoudig qui s’intitule « Les trois temps du danseur ». C’est un réalisateur dont j’admire vraiment le travail. Par ailleurs, Clémence souhaitait beaucoup mettre en valeur la parole des interprètes. Il se trouve qu’il a aussi réalisé avec Isabelle Yhuel cette émission qui leur est consacrée. On y entend trois danseurs de génération différentes évoquer leur métier sous différents angles ; on y découvre les questions qu’ils se posent, leur situation, la façon dont ils parlent de leur corps, du statut de leur métier. 
C.G. : Qui plus est, certains moments sont enregistrés en studio. Le fait d’entendre l’environnement du danseur apporte beaucoup à l’appréhension de leur démarche. C’est vraiment très riche.

Vous proposez également deux émissions « coups de cœur ». Quelles sont-elles ?
J.M. : Oui. Il y a tout d’abord « Par elles-mêmes », une "Expérience" de Judith Bordas et Annabelle Brouard pour France Culture – qui traite de la vie de jeunes femmes accueillies dans un foyer d’hébergement à Lyon. Il s’agit d’un travail au long cours effectué à partir d’ateliers de prise de son réalisés avec elles. Un sujet sensible et pourtant empreint d’humour, en particulier autour des mises en fiction qu’elles imaginent. Elles mènent aussi un travail d’archive, en se penchant sur l’histoire des jeunes femmes qui les ont précédées. Côté réalisation, l’aspect choral du montage, issu d’ateliers avec différents publics, nous semblait passionnant et non sans écho avec nos propres recherches. 
Plus loin de nous, Inside Kaboul de Caroline Gillet suit le quotidien de deux jeunes afghanes. Leur histoire nous parvient à travers une correspondance sonore. L’aspect poignant de cette actualité dont elles font le récit relayé par une voix off fait l’objet d’un traitement particulièrement sensible et riche sur le plan formel. Dans cette série issue d’un travail au long cours, un sillon se creuse et leur histoire racontée de cette façon ressurgit sous une forme presque romanesque. 

Comment abordez-vous vos prochains projets ? 
C.G. : Passer par une pratique corporelle aide à mettre des mots sur la danse. Et cela a été une découverte pour moi. Maintenant, j’aimerais entre autres, à partir d’un plateau radio peut être rejoindre ou imaginer un prolongement sous une forme spectaculaire.
J.M. : Je voudrais encore explorer, poursuivre ce que nous avons entrepris. Et formellement, pousser plus loin ce tissage consistant à mêler l'expérience vécue du danseur et celle, à la fois collective et subjective, des spectateurs, Clémence comprise, le tout dans une forme documentaire.

Entretien réalisé par Irène Filiberti avec Clémence Galliard et Juliette Médevielle
Décembre 2023