ANNE-CLAIRE LAINÉ
FÉVRIER

ANNE-CLAIRE LAINÉ

FÉVRIER

MA galerie sonore est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans cette rubrique.

ANNE-CLAIRE LAINÉ

longueur-ondes.fr 

Directrice de l’association brestoise Longueur d’ondes qui valorise depuis 2002 la création radiophonique dans toute sa diversité artistique et culturelle. Son festival dédié à la radio est la principale et la plus importante manifestation du genre en France.

PRÉSENTATION DE LA SÉLECTION

Anne-Claire Lainé est directrice de l'association brestoise Longueur d'ondes qui valorise depuis 2002 la création radiophonique dans toute sa diversité. Du 7 au 11 février se tient son festival de la radio et de l'écoute. C'est l'occasion de lui donner la main sur la programmation de MA galerie sonore.

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, vous travaillez à Brest au sein de l’association Longueur d’ondes que vous dirigez et dont vous êtes la déléguée générale pour son festival de la radio et de l’écoute. Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler dans ce domaine ? 
Anne-Claire Lainé : Mes études portaient sur l’Histoire contemporaine, avec des matériaux qui relèvent de l’histoire orale, des sources qui étaient des entretiens réalisés en quête d’une recherche. Par la suite, j’ai réalisé des stages, notamment à France Culture où j’ai découvert la radio et plus spécifiquement les écritures documentaires, d’abord au sein de l’émission qui s’appelait La fabrique de l’histoire, puis avec Sur les docks, ou encore Les nuits magnétiques. J’ai travaillé à la préparation d’émissions et de reportages avec Jean Lebrun. De stages en piges, j’ai mis le pied à la Maison de la radio et je n’ai plus trop quitté cet univers. C’est sans doute un monde dans lequel je me suis sentie assez bien naturellement. La radio a sur moi un pouvoir d’attraction assez fort. Ensuite, je me suis formée en cinéma documentaire à Uzès. J’ai fait un master pour finalement ne pas réaliser de film ! Mais ces enseignements permettent aussi de mieux penser la question documentaire, celle du réel dans les écritures artistiques sonores ou cinématographiques. Et j’ai fini par rejoindre Longueur d’ondes en 2010 par le biais d’un premier repérage puis d’une connaissance.

Quelle est votre conception de la programmation dans ce champ où elle se pose différemment que dans celui du spectacle vivant ou du cinéma ? 
A.C. Lainé : La programmation de notre festival a toujours été assez collégiale avec l’implication de bénévoles, du président qui a fondé l’association et de l’équipe salariée. Nous réfléchissons beaucoup ensemble à partir de nos écoutes, de ce que l’on réalise dans l’année mais aussi des questions de sociétés qui nous semblent primordiales dans le moment. En fonction aussi de la façon dont les podcasts et les émissions radio en rendent compte. Nous dialoguons beaucoup avec nos partenaires. C’est un festival très en direct avec une forme de galaxie radiophonique, des référents avec lesquels nous échangeons beaucoup au moment de construire la programmation. Comme tout travail de programmation, chaque édition est le fruit de discussions, de projets d’auteurs, de créations et de studios de production que l’on découvre ou que l’on accompagne. Je coordonne l’ensemble de ce travail.
Depuis ses origines, notre structure s’intéresse à la radio sous toutes ses formes : radio de création, de flux, d’information, musicale, etc. Bien sûr, nous avons nos tropismes, nos affinités électives. Comme ce champ de la création est assez méconnu, nous avons un peu plus creusé du côté de l’écriture documentaire pour laquelle nous attribuons un prix, mais nous nous intéressons aussi à la fiction, aux expérimentations sonores…. Nous sommes dans l’éclectisme des écritures radiophoniques et développons également des projets d’accompagnement des publics dans les pratiques radio et l’éducation aux médias. Nous considérons la radio dans son ensemble, comme dénominateur commun de démarches créatives, médiatiques et citoyennes, autour de la façon dont elle peut porter la voix et démocratiser des paroles ou des points de vue.

Par ailleurs, vous collaborez également avec MA scène nationale. 
A.C. Lainé : Yannick Marzin et Licinio Da Costa nous ont contacté il y a environ deux ans, pour cheminer ensemble autour de la radio de création. Ce qui nous a conduits à échanger et collaborer. Nous avons porté conjointement, et également avec l’association Making Waves et l’entreprise Feichter Audio, une candidature à l’appel à projet « Expérience augmentée du spectacle vivant » initiative du ministère de la Culture dans le cadre de France 2030, dont nous sommes sortis lauréats en juillet 2023. Il me semble très intéressant et pionnier qu’une scène nationale souhaite aussi investir le champ de la radio de création et accompagner des auteurs de tous domaines artistiques dans la création d’œuvres sonores. Nous sommes très heureux de voir cet aspect prendre une autre place dans ces équipements. Et de pouvoir y travailler ensemble par l’échange et les projets. Les écritures radiophoniques et sonores méritent qu’on y apporte d’autres moyens et d’être plus soutenues et visibles. Hors France Culture pour les auteurs du sonore et de la radio de création, il y a peu de possibilités.
Nous poursuivons notre réflexion et sommes en discussion sur d’autres aspects et partenariats, pour la diffusion et les façons de coproduire notamment. Il y a aujourd’hui une multiplicité d’appropriations nouvelles du son, de démarches créatives, de désir d’investir ces territoires et peu d’initiatives encore pour y répondre.

Dans les cinq pièces que vous proposez à l’écoute pour MA galerie sonore, quatre d’entre elles portent sur la jeunesse, y-a-t-il une raison particulière à ce choix ? 
A.C. Lainé : Je n’avais pas identifié les choses sous cet angle mais c’est vrai. En tout cas, il était fondamental pour moi de présenter une œuvre pour la jeunesse dans l’idée d’accompagner les enfants et les adolescents dans la découverte de l’écoute. C’est du même ordre que de lire un livre. La radio est aussi un moyen fabuleux d’aborder des histoires, de plonger dans des récits. Il y a des contenus de très belle facture qui voient le jour dans ce domaine, et parmi eux la série de Claire Richard et Sabine Zovighian La reine des pirates qui est un projet produit par ARTE RADIO, avec qui nous collaborons, pionnière à l’endroit de la radio sur internet et des prémices du podcast, il y a vingt ans, au moment où naissait Longueur d’ondes. L’élément innovant résidait aussi dans des formes d’écriture singulières à cette époque : des créations déjouant l’archétype du contenu journalistique pour aller vers d’autres approches sonores, au début avec peu de voix off, davantage tournées vers l’écriture à la première personne, le storytelling et l’accompagnement des auteurs proposant des histoires à raconter. Quand cette série est sortie, je l’ai trouvée plutôt bluffante, tant du côté de la composition musicale et sonore que de l’écriture et la réalisation. Une œuvre complète avec La dernière nuit d’Anne Bonny qui est le volet pour adultes. Pour en revenir à l’enfance, à Longueur d’ondes, nous travaillons beaucoup sur la question des dispositifs d’écoute auprès des scolaires, nous les proposons par cycles sur un trimestre aux écoliers, collégiens et lycéens dans l’idée de faire entrer la pratique de l’écoute au cœur des apprentissages comme des loisirs. J’avais moins réalisé que parmi mes autres propositions la jeunesse était aussi présente.
Entre les lignes d’Yves Robic est effectivement un dialogue entre un père et sa fille qui apprend à lire. C’est un documentaire d’une rare délicatesse que je trouve très réussi du point de vue de l’écriture, du récit intime, du dialogue un peu perché, de la réalisation sonore comme de sa forme qui tient d’une sorte de road trip dans une Bretagne des terres que l’on connait peu. Découvert à mes débuts dans notre structure, il m’a vraiment marquée et je continue d’avoir envie de le partager.

Vous avez aussi choisi le premier épisode de la série documentaire diffusée sur France Culture « Jeunesse, le mal de vivre » qui s’intitule Santé mentale : le cri d'alarme des professionnels réalisé par Johanna Bedeau. 
A.C. Lainé : Parmi tous les documentaristes, il est toujours difficile de faire des choix. J’avais envie de faire écho aussi à des productions plus récentes. Je trouve que Johanna Bedeau fait un travail de fond remarquable sur des questions de notre époque. Elle a une approche des problématiques sociales d’une grande force, notamment à travers des témoignages qui sont parfois difficiles et d’une sincérité très grande. C’est également le cas des paroles recueillies du côté des accompagnants et du corps médical au contact quotidien des patients. Ils ont une parole très incarnée, sans la distance d’expertise que cela peut produire parfois. Le travail de Johanna Bedeau relève peut-être moins d’une démarche de création sonore que d’autres, mais il montre, je ne sais pas trop comment le dire, une remarquable qualité de « sociologie radiophonique ».

Qu’en est-il de votre choix pour la dernière émission de Laure Adler, Shaï.
A.C. Lainé : Là, j’ai voulu me référer à la radio qu’on écoute chez soi, au quotidien, partout, la radio de flux, avec parfois des moments magistraux, voire d’épiphanie radiophonique. Ses émissions ont beaucoup marqué tant la communauté radio que les gens qui apprécient France Inter ou la personnalité de Laure Adler. C’est un entretien un peu dingue, sans filet. Laure Adler a pris le pari de dialoguer une heure durant avec cet enfant, dans une parole un peu fragile, et tellement poétique et subtile. Il faut vraiment croire en l’autre pour prendre un tel risque dans l’interaction radiophonique. Ce sont des moments liés à une charge émotionnelle vraiment très grande avec les auditeurs qui peuvent en être chamboulés et marqués durablement.

Réaliser un entretien avec un enfant pour conclure des années de radio me semble être une belle transmission.
A.C. Lainé : Oui, c’est un message pour la suite : donner la place, la voix et laisser advenir. Dans les multiples approches de la radio, je trouvais que cette émission faisait état d’une autre qualité et possibilité de la radio, celle de l’entretien et ce qu’elle permet de faire entre ses formats plus calibrés et nécessaires mais également, comme dans ce cas, dans son plus simple apparat. C’est magnifique aussi.

Un peu à part dans votre sélection, il y a Écouter l’ombre qui nous décadre des repères radiophoniques et aborde la question des entendeurs de voix. 
A.C. Lainé : En effet, il s’agit d’un spectacle-installation sonore. Avant de faire mes choix pour MA galerie sonore, j’ai aussi regardé les propositions des autres invités, j’ai vu que certaines personnes partageaient parfois des dispositifs ou bien des démarches d’artistes comme des chorégraphes qui travaillent le son, la voix ou la parole de manière singulière. Et j’avais envie de partager le travail de cette compagnie, Les harmoniques du Néon, qui m’intéresse beaucoup. Il est mené par deux artistes sonores, Anne-Julie Rollet et Anne-Laure Pigache, qui ont « une sensibilité reliée à la voix et à l’institution psychiatrique ». Elles font un travail très singulier sur l’écoute. Nous les avons déjà accueillies pour différents projets dont Écouter l’ombre et poursuivons cet accompagnement. Cette année, elles seront présentes avec une formation professionnelle qu’elles dirigeront dans le cadre du festival et avec une expérimentation Le flou sur la langue. Cela met en lumière leur travail et montre aussi l’approche et l’accompagnement que nous pouvons mener sur du long terme en collaborant avec des artistes. Leurs pièces produisent des émotions d’écoute vraiment fortes. Elles ont une grande acuité pour raconter dans une installation sonore, ce qu’est l’écoute, et pour appréhender et tenter de comprendre la question des entendeurs de voix : quelle place on leur donne, comment on les reconnait, comment tenter de partager cette expérience et sortir de l’anormalité.  

Entretien d’Irène Filiberti avec Anne-Claire Lainé
Février 2024