AMANDINE CASADAMONT
JANVIER

AMANDINE CASADAMONT

JANVIER

MA galerie sonore est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans cette rubrique.

AMANDINE CASADAMONT

soundcloud.com/amandine-casadamont

Artiste sonore et créatrice radio, sa pratique du son est au croisement de la pièce radiophonique, de la performance et de l’installation sonore. Lauréate de nombreux prix internationaux.

PRÉSENTATION DE LA SÉLECTION

Au croisement de la pièce radiophonique, de la performance et de l’installation sonore, Amandine Casadamont, productrice, auteure, compositrice ou réalisatrice, a développé un parcours qui compte de nombreuses émissions et créations radiophoniques. Dans son travail, fiction, poésie, voire fantastique ont autant d’importance que les espaces concrets et documentés, toutes formes de réalités sur lesquelles sa démarche prend appui.

Comment avez-vous abordé la programmation d’émissions proposée dans la Galerie sonore ? 
A.C. : Cela s’est fait tout d’abord en tentant de répondre à la question suivante : qu’est-ce qui me stimule en tant qu’auditrice ? Mon choix, outre les contraintes de moyens, de droits de diffusion, s’est tout d’abord orienté de cette façon. Je me suis aussi interrogée sur ce qui pouvait faire sens dans mon rapport à l’écriture et ma propre façon de concevoir une pièce, un documentaire, une émission ou une installation. C’est pourquoi j’ai finalement retenu des entretiens avec des créateurs de différents champs artistiques, des personnalités qui ont une pensée libre. Par ailleurs, il fallait aussi qu’à travers l’ensemble de ces choix, je raconte quelque chose, notamment sur ma pratique puisque j’ai été invitée à participer aux activités de la Galerie sonore en tant que réalisatrice et artiste sonore et qu’il me semblait intéressant de jouer de façon directe à cet endroit-là. 

Vous programmez exclusivement des entretiens avec des artistes et un philosophe, tous très connus dans leurs domaines respectifs. Pourquoi ne pas avoir proposé aussi d’autres types d’émissions ?
A.C. : C’est beaucoup ce que j’écoute moi-même à la radio. La création, je vais plutôt la chercher dans d’autres champs, d’autres espaces, notamment la danse que j’aime beaucoup, et aussi dans le cinéma documentaire, d’auteur, de fiction ou encore les arts contemporains, la photographie. Ce sont des disciplines qui me nourrissent, me stimulent. En radio, actuellement, j’écoute souvent les nuits de France Culture, Ça ouvre ; il y a énormément de choix aussi bien dans la forme que dans le sujet, le type de parole, de pensée. On peut entendre, des choses récentes ou plus anciennes. De mes études d’histoire, j’ai gardé un attachement pour l’archive. Il me semble important d’avoir une connaissance de ce qui a été dit, fait, pour pouvoir circuler dans le présent et le futur. Sinon c’est comme avancer en aveugle dans son propre temps. 

En quoi est-il intéressant pour vous de mettre particulièrement en avant ces quatre personnalités ?
A.C. : Globalement, ce sont leur pensée et leur façon de s’exprimer qui me semblent importantes. Il y a une facilité à les écouter, une fulgurance et une simplicité dans la manière d’exprimer leurs idées. Certains de leurs propos font aussi écho à ma pratique, à ma façon de penser le son, notamment au montage. 

Pourriez-vous préciser en quoi chacun d’entre eux font référence pour vous ? 
A.C. : Il y a tout d’abord, Jean-Luc Godard. Lorsqu’il dit que montrer est une forme de pensée et que le cinéma est fait pour cela, cela me semble proche de la façon dont j’envisage la radio. Quand on donne quelque chose à écouter, que l’on écrit un documentaire ou une fiction, je crois qu’on articule une pensée du même ressort. Il dit aussi : « Je fais ce que la situation me dicte. De moi-même, je ne vois pas ce que je ferai ». Cette posture un peu situationniste, je crois que je la partage aussi. Pour Welcome to Nay Pyi Taw, Chasseurs, ou d’autres documentaires immersifs, j’écris beaucoup sur le moment, je me sers de la situation pour improviser, pour faire naître les choses. Être sur un lieu et le faire exister par le son et l’écoute est un exercice très plaisant. Chez Godard, j’apprécie beaucoup aussi la réflexion critique, notamment sur la presse ou la télévision. C’est amusant quand il raconte qu’il aime regarder le journal télévisé sans mettre le son. Je le fais souvent moi-même et depuis l’enfance. Je m’amusais en plus à réécrire les dialogues.
De Charlotte Perriand, je connaissais le travail d’architecte, designer et photographe mais je ne l’avais pas entendue en entretien. Sa façon de raconter, d’exprimer sa pensée ont retenu mon attention : son rapport à l’espace, aux objets, au travail d’équipe ou encore la remise en question de sa relation de travail avec Le Corbusier. Il y a aussi ses rencontres, ses voyages qui deviennent des aventures, comme lorsqu’elle parvient à sortir du Japon pendant la guerre, en passant par l’Indochine. Cela résonne avec ma formation d’historienne et mon intérêt pour ce pays. A travers l’évocation d’une époque, notamment celle de la deuxième guerre mondiale, son récit fait d’elle un témoin important de son temps, qui avance librement pas à pas dans la vie. En quelques mots, avec des images fortes, efficaces, elle décrit remarquablement les situations, la société de l’époque.

Nous venons d’évoquer en quoi certains propos d’artistes, côté cinéma, architecture et design peuvent faire écho ou stimuler votre propre démarche, qu’en est-il de votre relation à la musique à travers votre proposition d’écoute d’une interview du compositeur Luc Ferrari ? 
A.C. : Dans mes performances, il m’arrive de jouer avec plusieurs platines vinyles, d’où le terme de Jean-Jacques Birgé qui me définit comme platiniste, posture différente de celle du DJ. Je dirai plutôt que mon travail consiste à faire du « cinéma pour les oreilles », bien que l’expression me semble un peu simpliste ! Il s’agit plutôt d’une narration abstraite. Il peut y avoir du bruitage, de la drone musique, de l’électronique, du feel-recording, de la poésie sonore, de l’ethnomusicologie… Tout est possible dans ce mixage de compositions. D’où le plaisir de ces improvisations préparées et du travail de sélection qui les accompagne. Les compositions de Luc Ferrari en musique concrète font partie des sources que j’utilise. En revanche, j’ai découvert depuis peu la façon dont il parlait de sa musique, de sa relation à celle-ci. J’ai beaucoup apprécié sa façon d’évoquer son travail, celle d’un esprit libre qui refuse de se laisser enfermer dans une institution ou une esthétique. Je me sens proche de cet état d’esprit.
J’accepte le travail de commande en tant qu’artiste , mais au service d’une demande précise, d’un client, d’un produit ou d’une structure artistique. Faire la distinction entre cela et la création est important. Parfois, il me semble qu’il règne à cet endroit une grande confusion. A peine cherche-t-on à produire quelque chose, que l’on parle de création. L’artiste doit être libre de son geste, sinon cela peut tourner à la décoration. Dans mon parcours, j’ai eu la chance d’avoir cette liberté, notamment à France Culture mais aussi dans d’autres projets menés en lien avec les arts contemporains.

Et pourquoi, parmi les philosophes, avoir élu Michel Foucault ?
A.C. : Et bien, c’est ma culture. J’ai grandi avec deux parents foucaldiens. J’ai baigné dans ses idées, ce dont je me suis rendu compte à l’âge adulte en abordant ses écrits et surtout en l’écoutant . Outre l’importance de son questionnement toujours actuel, une pensée très claire, tranchante, avec beaucoup de fulgurances, il y a la singularité et la modulation de sa voix, son rire, tellement sympathiques ! Sans oublier sa sobriété. Ses questions sur le pouvoir, le savoir, la surveillance ou la normalité, si prégnantes aujourd’hui, notamment à travers les nouvelles technologies, sont capitales. L’entretien que je propose est également réalisé par une grande personnalité des médias ; Jacques Chancel dans son émission Radioscopie.

Si l’on revient à votre démarche, plus particulièrement à la place que vous accordez à l’oralité mais aussi à l’espace, de quelle façon êtes-vous conduite à les traiter dans vos propres émissions ou projets ?
A.C. : Cela dépend des situations et des sujets. C’est toujours le fond qui va dicter la forme. Par moments, c’est la parole qui s’impose. Mais à d’autres, elle est peu présente. Parmi les choses que j’ai pu fabriquer, certaines sont bavardes ! Et d’autres absolument pas, comme la pièce Zone de silence (France Culture, ACR, 2014), – ma première pièce anti‑bavardage ! – que j’ai réalisé avec Angélique Tibau. C’était une façon de venir titiller mon propre champ, celui de la radio et de son flux où il y a une prédominance de la parole et de la musique. A la radio, en général, soit on a du mal à accepter la part de silence, soit on compose peu avec lui. C’était une manière de questionner l’écoute et l’écriture. Pour sa diffusion à France Culture on s’était inquiétées de la réaction des programmes de sécurité de l’antenne. Car après trente secondes de quasi blanc, des programmes de secours se déclenchent automatiquement. On avait fait des tests, ajusté les niveaux, signalé les possibles perturbations pouvant agir sur ces « programmes de surveillance du silence » ! Et tout s’est bien passé. 

Et comment interviennent les notions d’espace dans votre pratique ? 
A.C. : Elles sont liées à ma pratique. La base de mon travail consiste à savoir observer et écouter. Où que je me trouve, dans n’importe quel espace, je parviens à isoler chaque son, les points de détails, comme si j’avais un multipiste ! Mais je crois avoir aussi développé ce sens bien avant et à mon insu. J’avais un grand-père aveugle avec lequel, enfant, j’ai passé énormément de temps. Comme beaucoup de personnes non-voyantes, il portait une attention particulière aux sons qui lui permettait entre autres de se repérer dans l’espace. Et souvent, il sollicitait la mienne, me demandait si j’avais bien entendu tel ou tel mot ou détail sonore. Je pense qu’il a influé sur mon rapport à l’espace en me transmettant cette forme d’attention à l’écoute.
J’ai tendance à beaucoup enregistrer les espaces dans lesquels je me trouve, j’ai toujours beaucoup de rushes donc du choix pour articuler l’écriture de mes pièces.
Ce que j’aime bien avec le son, c’est qu’il y a beaucoup d’indirect, de pudeur. En même temps, il a une certaine force, immédiate, fulgurante qui permet d’être économe, de ne pas trop en faire.

Avez-vous de nouveau projets en cours que vous souhaiteriez évoquer ? 
A.C. : Dans l’avenir proche, j’aurais deux choses à signaler. J’ai entamé un travail de performance ou plutôt de création sonore live avec Madeleine Leclair, ethnomusicologue et conservatrice au Musée d’ethnologie de Genève, le MEG. Nous allons jouer ensemble à chaque solstice et équinoxe prochains dans l’idée de faire se rencontrer nos univers.
La seconde est issue d’un Atelier de Création Radiophonique (A.C.R) de France Culture que je viens de terminer. Il s’agit d’une fiction qui porte sur les dossiers de surveillance de la Securitate en Roumanie à l’époque de Ceausescu. Ils sont aujourd’hui consultables sur demande aux Conseil National pour l’Etudes des Archives de la Securitate ( C.N.S.A.S). J’ai travaillé sur les questions d’espionnage, sur le contexte politique de cette période. J’ai écrit cette fiction sous forme de pièces de dossiers de surveillance : rapports, notes d’informations, filatures, écoutes. Agencés, ces matériaux composent trois histoires croisées tout en gardant une certaine forme d’humour, un brin satirique.

Entretien d’Irène Filiberti avec Amandine Casadamont
Décembre 2023