NESRINE
OCTOBRE
MA galerie sonore est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans cette rubrique.
NESRINE
nesrinemusic.com
Artiste franco-algérienne ayant vécu entre plusieurs pays, Nesrine dévoile dans son travail des histoires personnelles où il est toujours question de l’Autre. Mêlant français, arabe et anglais, ses compositions s’inspirent de rencontres et d’influences diverses, de Khalil Gibran à Gainsbourg.
PRÉSENTATION DE LA SÉLECTION
Nesrine est violoncelliste et chanteuse. Née dans le Nord de la France dans une famille de mélomanes algériens, elle apprend la musique classique jusqu’à devenir violoncelliste dans un orchestre symphonique avant de prendre rapidement la tangente pour jouer sa propre musique au sein de formations où résonne toute la richesse de son parcours.
________
Commençons un classique des classiques, en particulier pour celles et ceux qui ont des attaches culturelles avec le Maghreb et plus généralement avec l’Afrique du Nord et le monde arabe. Vous avez choisi un morceau de Oum Kalthoum, avec cette petite particularité que sur la vidéo que vous conseillez, on peut lire les paroles en anglais. J'ai lu, dans un entretien que vous avez donné, que votre mère vous aidait à écrire les textes que vous chantez lorsqu'ils sont en arabe. Quel rapport avez-vous avec la langue arabe, et avec la langue d'une Oum Kalthoum qui n'est probablement pas tout à fait l'arabe de vos parents ?
Depuis que je suis toute petite, mes parents me parlaient en arabe, mais effectivement en arabe d'Algérie, en algérien. Ce n'est pas la langue qu’Oum Kalthoum chante qui est de l'égyptien et même plutôt de l’arabe classique. Mais moi j'ai commencé la musique avec la musique arabo-andalouse, c'est-à-dire la musique classique du nord de l'Afrique où l’on chantait, où j'ai chanté, là aussi, en arabe classique. Car cette musique-là se chante en arabe classique et non en dialecte algérien. Donc mon rapport à la langue arabe, il est là, entendu par la langue maternelle, mais aussi déjà toute petite, par le chant. J’ai fait mon premier concert quand j'avais six ans à Tlemcen où j'ai chanté une chanson du répertoire de musique arabo-andalouse avec ma petite mandoline.
Mes parents avaient une association dans le Nord de la France qui faisait la promotion de la musique arabe. C'est-à-dire qu'ils faisaient venir des artistes du monde arabe et, pour cette raison, on les avait tout le temps à la maison. Donc Oum Kalthoum (qui n’est jamais venue chez mes parents bien sûr) a toujours résonné à la maison, comme d’autres grandes stars la musique arabe, Mohammed Abdel Wahab par exemple, que toute famille écoutait, comme il se doit. Elle a toujours été là dans notre cœur et dans notre imaginaire musical. Je suis particulièrement touchée par sa musique, ce qui aurait pu ne pas être le cas. C’est ce qui fait qu’avec ma mère, quand on écrit des paroles en arabe, on écoute toujours les chansons d’Oum Kalthoum pour être réinspirées de sa poésie, de ce qu'elle raconte.
Et dans votre propre musique ?
L’arabe classique, je l’ai appris en prenant des cours, ça n’est pas une langue que je parle couramment, mais j’aime beaucoup chanter l’arabe classique parce qu’il y a beaucoup de voyelles tandis qu’en algérien elles sont bien plus coupées par les consonnes.
Mais je dois dire que j’ai choisi Oum Kalthoum également parce que cette année je devrais être dans opéra à Berlin autour de sa musique et que donc elle fait à nouveau partie de mon quotidien.
Est-ce que son côté « pop-star » est aussi une dimension qui vous séduit ?
Dans cette expression que vous utilisez, personnellement, je ne retiendrais que « pop » au sens populaire. C'est-à-dire qui touche beaucoup de gens. « Star », ça m'est égal. Mais une musique qui est populaire en étant belle et bien faite, je trouve que c’est une prouesse. Réussir à être populaire avec une musique recherchée, je trouve ça incroyable : il n'y en a pas beaucoup.
Pour rester dans la grande sphère des langues arabes, mais trancher stylistiquement, vous aviez placé en premier dans la liste que vous nous avez transmise une rappeuse saoudienne du nom de Asayel. Est-ce que c'est le rap qui vous intéresse ici ? Ou bien la femme rappeuse saoudienne ? Ou peut-être encore tout à fait autre chose.
C'est un peu tout. Déjà j'aime beaucoup le hip-hop et de manière générale j'en ai beaucoup écouté. Et je trouve qu’il se passe vraiment quelque chose sur la nouvelle scène arabe. C'est surtout pour ça que je vous ai mis ça. Sur la scène moyen-orientale essentiellement, encore que non, au Maghreb aussi, mais j’ai l’impression qu’il y a surtout des mecs. Il y a une nouvelle scène de musique urbaine hyper intéressante. J’ai mis Asayel parce que c'est elle que j'écoute. Mais ils sont nombreux à faire des belles choses, et j'aime ça ! Sociologiquement, j'aime voir ça. Musicalement, j’aime voir ça. J'aime voir ces femmes, elles me font du bien : cette émancipation, cette beauté, leurs revendications. Mais surtout c’est hyper bien le rap en arabe ! Il se passe vraiment quelque chose en ce moment, et ça, ça me plaît, j’écoute beaucoup de choses qui me touche particulièrement.
Dans la famille de mélomanes qui étaient la vôtre, le rap était présent ? Ou bien c’est tout simplement la musique de votre génération ?
Alors le rap, ça n’est pas du tout venu de mes parents, mais alors pas du tout ! Non, moi c’est à l’adolescence, à Marseille, avec toute la scène rap de cette ville dans les années 90. D'ailleurs, j’ai participé au concert d’IAM au Stade Vélodrome en juin ! J'avais travaillé un peu avec eux quand j'avais une vingtaine d’années et là, ils ont appelé tous les gens avec lesquels ils ont travaillé et donc je suis allé faire sonner mon violoncelle au Stade Vélodrome devant plusieurs milliers de personnes.
La production, la musique, de ce morceau de rap d’Asayel est assez « minimale », peu chargée, très aérée. On retrouve ça en quelque sorte sur votre proposition suivante qui est un morceau de James Blake. Est-ce que c’est un élément important pour vous ?
Tout à fait. Dans ma musique, je considère que je fais ça : un énorme travail de simplicité. Je n'aime pas le son pour le son et chaque choix de son, d’arrangement, a du sens. Ça n’est pas juste pour remplir. C’est ce que je déteste le plus dans la musique, le remplissage. Alors oui, j'aime tout ce qui est minimaliste et hyper intelligent et donc j’aime James Blake. Mais je l’ai choisi dans cette sélection parce que c'est le dernier concert que j'ai vu dans l’année et qui m’a le plus marquée, le plus touchée. C'était sur son dernier album, un peu plus électro et c’était splendide. James Blake fait clairement partie de mes inspirations oui. C’est d’une finesse, d’une intelligence, d’une émotion… même si là, c’est une reprise de Feist (que j’aime beaucoup par ailleurs), c’est une reprise magistrale !
À la sortie de vos études vos avez intégré l’orchestre de l’opéra de Valence, en Espagne. Est-ce ce rapport à la langue espagnole qui vous a fait proposer ensuite cette très belle chanson de Simone Diaz ?
Oui, c'est pour ça que je vous l’ai mise. Pour la langue espagnole, mais aussi parce que je trouve cette chanson incroyable ! D’une simplicité à tomber et en même temps, universelle. Je ne crois pas que quelqu’un puisse écouter ça et ne pas être touché. Je ne sais pas comment c'est possible que ça soit aussi beau avec un petit instrument comme ça, avec des paroles toutes simples. C’est un ovni cette chanson !
Peut-être un rappel de vos six ans et de votre mandoline à Tmelcen ?
Ah ah, oui, pourquoi pas. Mais j’ai choisi de la mettre ici pour la langue espagnole qui a fait partie de ma vie pendant 12 ans, pour parler de ce grand moment de ma vie, de la découverte de cette langue. Chez moi, les langues, ça ouvre. J’en parle cinq maintenant, c’est important pour moi, dans ma vie, chaque fois ça ouvre un monde. Et puis c'est une chanson que je réécoute comme ça, pour la nostalgie… je la trouve extrêmement nostalgique.
L’Espagne correspond au moment où vous quittez le monde de la musique classique, l’orchestre symphonique, pour mener vos propres projets. Est-ce un hasard que ça se soit passé là ? Ou bien est-ce qu’il y a un rapport différent entre ces choses en Espagne ?
Je crois que ce que m’a offert l’Espagne, c'est la liberté. Là-bas, je n’étais pas ce dans quoi on nous catalogue en France, là-bas je pouvais être ce que je voulais. Et ça m'a permis ça, absolument ça et puis des rencontres aussi. Je n'avais pas d’obligation, là-bas, je ne suis pas une immigrée algérienne. Là-bas je suis française dans la tête des gens. L’Espagne m’a offert cette liberté et ça permet de respirer. Une grande respiration !
Et pour ce qui est de la vie de l’orchestre, on était quatre-vingt-quinze de vingt-trois nationalités différentes… le monde entier était représenté là. On était tous issus de mondes complètement différents dont certains de pays où toutes les classes sociales ont accès à la musique classique. C'était très libérateur.
Il reste une de vos propositions et là, il s’agit d’un album entier. Celui d’une artiste britannique qui s’appelle Pip Millett. Comment vous la présenteriez et pourquoi l’avez-vous choisie ici ?
Je l’ai mise, mais il y avait 15000 albums que j’aurais pu choisir. Parce que, ce que je voulais montrer, c'est une certaine nouvelle scène anglaise du côté du R&B, Soul, New Soul. C’est sûr que j’aurais pu vous proposer Erykah Badu, ce que j'écoutais au début des années 2000, ou D’Angelo qui est un de mes grands, grands artistes, adorés, préférés. Mais c’était avant, ça. Là j’avais envie de vous mettre ce que j’écoute en ce moment, ce qui est en ce moment dans mon cœur. Et il y a toute une nouvelle école anglaise, une nouvelle génération en R&B ou même en rap avec Little Simz, ou Sault … que j'adore. C'est vraiment une musique que j'adore, une grande influence. Si je dois écouter de la musique pour écouter et être tranquille, c'est ça ! Par ailleurs j’écoute de la musique pour plein d’autres raisons mais ça, je peux le mettre dans mes oreilles, partir faire un footing avec, et ça ne me dérange pas. Et cette nouvelle école anglaise est très vivante, j’ai fait un peu mes recherches et elle vient essentiellement d’une école de musique qui a ouvert dans les années 80 ou 90 dans un quartier populaire de Londres je crois. J’ai trouvé ça fascinant que tous ces gens, ce genre, sortent de là et que vingt ans, trente ans plus tard, ça fasse « école ». Et donc j’ai mis Pip Millett mais ça aurait pu être Little Simz, Cleo Sol…
Pour finir peut-être, un mot sur le fait que vous avez fait une sélection musicale, contrairement aux habitudes de MA Galerie sonore, généralement orientée vers les podcasts. Vous sauriez dire pourquoi ?
Je n’écoute jamais de podcasts, jamais la radio. Enfin, rarement, parfois une émission politique mais non, globalement je n’écoute pas ça. En fait, c’est impossible pour moi d’écouter quelque chose comme ça, sans l’écouter vraiment. C’est à dire de laisser quelque chose tourner comme ça, comme le plein de gens font. Ils mettent une radio, puis ils passent, ils entendent de temps en temps, ça c'est impossible pour moi. Si j'écoute quelque chose, je m’assieds et j'écoute. Et même par exemple des entretiens philosophiques, qui pourraient m’intéresser, je préfère lire je crois. L’oreille, l'écoute, c'est un peu sacré et ça me demande énormément d'attention ou en tout cas. Enfin, c'est pas que ça me demande de l’attention, c'est que c'est comme ça, ça prend toute la place. Je préfère le silence de la lecture pour comprendre les choses, les phénomènes, les mécanismes.
Entretien réalisé par Adrien Chiquet avec Nesrine
Octobre 2025