MOHAMED EL KHATIB
NOVEMBRE

Mohamed El Khatib

NOVEMBRE

MA galerie sonore est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans cette rubrique.

Mohamed El Khatib 

Mohamed El Khatib est metteur en scène. Il développe depuis près de 15 ans une œuvre dont la puissance poétique prend sa source dans la collecte de témoignages, dans la vie quotidienne de personnes qui se retrouvent bien souvent en chair et en os sur les plateaux des théâtres qui l’accueille. Ce sera prochainement le cas sur le plateau de MA scène nationale, avec La Vie secrète des vieux

PRÉSENTATION DE LA SÉLECTION

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Votre éclosion sur la scène française du spectacle vivant s’est faite avec une pièce, Finir en beauté, qui racontait d’une façon aussi drôle que bouleversante, l’histoire du retour au Maroc du corps de votre mère défunte. Une sorte de « retour au bled ». En quoi cette thématique du lien à la terre natale (la sienne ou celle des parents) vous importe encore aujourd’hui ?

 

J’ai choisi ce podcast parce que je trouve que c'est étonnant la façon dont c'est revenu sur le devant de la scène cette année. Il y a eu un film là-dessus avec Redouane Bougheraba, moi j'ai fait une exposition qui s'appelle Renault 12 et il y a ce documentaire qui est sorti sur Arte Radio.

Dans ces périodes de transhumance, la voiture, la Renault 12, la 504, la Renault 21, faisait office de trait d’union, entre les deux rives de la Méditerranée. Il y avait nos parents à l'avant et c’est un peu comme si aujourd’hui, ceux qui étaient à l'arrière, à l'arrière des voitures, prenaient finalement la parole. Ils font un peu un état des lieux de cet entre-deux entre le Maghreb et Ici, de la façon dont la plupart du temps ils ont été absorbés par Ici. Je trouve ça bien qu'on entende ces récits qui sont à la fois des espèces de madeleines de Proust (des makrouts de Proust), un peu nostalgiques et donc plutôt tendres. Parce que c’était des épopées, c'était l'aventure. On partait à l'aventure ! Il y a quelque chose du retour à Ithaque ou d’Ulysse qui retourne au pays. Une aventure, semée d’embûches : les stations essence, les vols en Espagne, les douaniers, la bouffe pendant plusieurs jours, les provisions, etc. Un rituel plutôt joyeux.

Mais c’est aussi une histoire contrariée, une partie de l'histoire de France un peu méprisée. C’est une génération issue de l’immigration à qui on a eu du mal à faire une place ici en France, c'est aussi une double appartenance qui fait que nous, on n’est ni tout à fait d'Ici, ni tout à fait de Là-bas. Donc il y a aussi une histoire politique derrière, elle aussi un peu contrariée, et j’avais envie qu’on entende ces récits à travers de ce podcast qui, lui, est plutôt joyeux et qui prend les choses par l'intime. Mais c'est une intimité qui s'inscrit dans l’histoire plus large de la place de l'immigration en France. A fortiori aujourd'hui dans un contexte politique où il y a une espèce de déferlante de clichés anti-immigration, de discours totalement réactionnaires sur l’apport et la chance que peut être l'immigration pour un pays comme la France qui a toujours été une terre d'accueil et d’hospitalité. Depuis des siècles.


À l’image de La Vie secrète des vieux que vous présentez à MA scène nationale prochainement, une grande partie de votre travail s’échafaude à partir de paroles collectées (et souvent portées sur scène par les personnes les ayant prononcées). Comment ne pas penser que c’est cela qui vous a séduit dans la série Les Braqueurs où trois anciens braqueurs racontent ce que fut pour eux cette activité ?

 

J'ai adoré écouter Les Braqueurs, surtout le premier témoignage qui se déroule sur les deux ou trois premiers épisodes. Je trouve ça totalement inattendu : ça n’est pas du tout l'image qu'on se fait des braqueurs. C’est un contre-pied à tous les clichés qu'on peut avoir sur eux, sur l'univers carcéral, sur ces milieux qu'on connaît très peu. Il y a donc effectivement la question du témoignage, du récit, de l’enquête qui sont au cœur de mon travail et il y a la forme que lui donne Pascale Pascariello. L'accompagnement musical, par exemple, est sublime : d'un coup, on est transporté par ce récit.

J'ai voulu l'adapter au théâtre et elle avait refusé – à mon avis pour de mauvaises raisons – je pense qu'il y a eu une sorte d’incompréhension. En tout cas, les questions restent les mêmes : qu'est-ce qu'on fait d'une parole documentaire réelle avec de vrais témoins ? Comment on passe à la scène ? ou pas ? Est-ce qu'on demande aux vrais témoins de venir porter leur parole sur scène ?

Et puis, il y a ce côté un peu mystérieux que j'aime beaucoup. Le côté fascinant du milieu de la mafia, les parrains, ces espèces de cowboys, ces genres de westerns contemporains. Il y a beaucoup de fantasmes autour de ça. Le récit est haletant et assez passionnant, le montage est superbe, c'est une vraie réussite sur le plan artistique, sur le plan de ce qu’est un podcast. Je l'ai écouté plusieurs fois et je voulais vraiment l’adapter tout en sachant que je ne ferais pas mieux. Idéalement, je voulais le faire avec les vrais témoins ou sinon j’avais pensé inviter Laurent Poitrenaux, qui est un acteur que j’aime beaucoup et qui est un très grand lecteur. Il aurait pu le faire à l’oreillette pour reprendre exactement les intonations, en rejouant vraiment l’archive. C’est quand même très riche, c’est des sacrés parcours, de sacrées histoires.

Comme je disais, c’est surtout le premier qui m’a fasciné. Comment la vie de ce type, qui a des parents un peu alternatifs, peut complètement par hasard basculer. Il vient plutôt d'un milieu bourgeois, rien ne le prédestinait à devenir braqueur. Il se prend au jeu et en même temps il est pris dans une spirale où il finit en cavale et où il peut plus revenir en arrière. Le crime appelle le crime, plus l’adrénaline, etc. Je trouve que c'est des vies extraordinaires, et des tragédies en même temps. Parce qu'il est coincé et il a du mal à s’en sortir comme de n’importe quelle addiction.


Le dernier podcast de votre sélection est plus difficilement rattachable à votre travail, à votre parcours. Pourquoi avoir choisi cette émission de témoignages d’amis d’Anne Dufourmantelle, autrice et psychanalyste qui s’est noyée en 2017 en sauvant les enfants de ses amis.

 

Alors celui-là est presque plus autobiographique. Un jour que je suis en voiture, je prends l’émission au milieu, à la 25 ou 26e minute. Ils sont en train de parler de cette femme mais on ne sait pas de qui ils parlent. Et ma compagne de l'époque qui est avec moi en voiture me dit « Ils sont en train de parler de toi ! ». Et pendant quelques minutes j'ai vraiment eu cette impression. Il y avait une espèce de similitude, sa vie, sa manière d'être, toujours être entourée de monde mais de ne pas trop parler, de faire en sorte que les gens soient bien entre eux, d'être assez mystérieux, de donner rendez-vous à des gens mais de pas y aller en donnant une excuse bidon, d'avoir vingt meilleurs amis, de ne pas savoir dire non… Je me retrouvais chez elle. Et je trouvais qu'elle avait une vraie générosité, et d'ailleurs ça l’a tuée, parce qu'elle a essayé de sauver ces gamins, et elle en est morte. J’ai beaucoup aimé ses prises de parole quand, après, je l'ai écoutée à la radio. J’adorais cette espèce d'empathie spontanée qu’elle avait. Quand elle était invitée à la radio pour un de ses bouquins par exemple, elle parlait des bouquins des autres, elle ne se mettaient jamais en avant. Ça, ça m'a beaucoup touché. J'ai adoré ce personnage un peu romanesque, et puis j'avais ici un de ses bouquins que je n'avais jamais lu et que du coup j’ai fini par lire. J'ai beaucoup aimé ce qu'elle était et donc, c'est presque un coup de cœur amical. J’aime bien ce portrait fait par des amis, l’amitié comme valeur à réhabiliter, comme valeur noble.


On peut être un peu surpris d’un tel choix, non pas tant du point de vue des thèmes, mais du style de pensée, qui ne semble pas forcément proche de la façon dont vous abordez les choses dans votre propre travail.

 

Disons que si j'avais une recommandation sérieuse à faire, effectivement, je dirais plutôt qu'il faut lire aujourd'hui Louisa Yousfi, ou plus généralement les gens qu’éditent les éditions de La Fabrique. Mais là, c'est plutôt un truc un peu intime. J'allais dire presque léger, mais qui fait du bien aussi. Parfois, il faut des lectures politiques et structurantes, etc., et puis parfois, je trouve que c'est bien d'assumer aussi une forme de légèreté. Une forme de contradiction avec qui est cette femme, avec son milieu qu’en vérité je ne supporte pas beaucoup… Mais elle a un truc touchant, et c'est quand même ça qui prime, pour moi.


Une dernière question plus générale. Vu la nature de votre travail, on pourrait s’imaginer que le podcast est une forme qui aurait pu vous intéresser. Vous l’avez pratiqué ? Vous en avez le projet ?

 

Non, non, je suis contre les podcasts. Parce que je trouve que c'est un truc d’escroc en fait. La plupart du temps, les personnes qui sont enregistrées ne sont pas rémunérées. Donc en fait, vous faites votre truc sur des témoins, sur la sauce de tel universitaire ou telle autre. Et donc, vous allez piller la parole des gens, puis vous faites votre petit montage et tout, et vous, vous gagnez du fric avec ça (quand vous en gagnez). Pour moi c'est une des limites du podcast. Et ça vaut pour Les pieds sur terre par exemple, que pourtant j'adore écouter ! Je me dis qu’il faudrait revoir le contrat social de la fabrique du podcast. Néanmoins je trouve ça très agréable en termes d'imaginaire, je trouve ça plus puissant et plus fort que les écrans. Donc, j'en écoute un peu comme ça, au gré des émissions. Je vais sur France Culture et je chope des podcasts. L’un des derniers que j'ai écouté, c'est sur l'amour avec Younès Boucif. Je tombe sur les choses par hasard et j'adore me laisser embarquer par le côté sériel, un peu feuilleton, c'est agréable.